Paris. Bibliothèque nationale de France, Département des manuscrits, Latin 4939

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  • Titre attesté :
    • Paulinus Venetus, O. F. M., Chronologia magna.
  • Autre forme de la cote :
    • Département des manuscrits, Latin, 4939
    • Paris. Bibliothèque nationale de France, Département des manuscrits, Latin 4939
    • Paris. BnF, Latin 4939
  • Conservé à : Paris. Bibliothèque nationale de France, Département des manuscrits
  • Date de fabrication :
  • Lieu de fabrication :
  • Écriture :
    • Ecriture italienne
  • Décoration :
    • Très nombreuses scènes historiées dans le texte ou en marge, têtes ou bustes accompagnant les généalogies, dessinées à la plume et rehaussées de couleur jaune, s’arrêtant au f. 86. Lignes de couleur délimitant les différentes parties de pages, le plus souvent à la peinture bleue ou verte pour les lignes horizontales, jaune pour les lignes verticales. Rubriques ; lettres d’attente et titres d’attente, instructions pour le dessinateur et indications pour les nombres de la même main cursive ; petites initiales rehaussées de rouge ; nombreux noms propres soulignés en rouge.Sept cartes dont certaines sont peintes : mappemonde (9), carte de la Terre Sainte et du delta du Nil (10), carte régionale de la Terre Sainte, quadrillée en rouge (10v-11), les autres dessinées à la plume et rehaussées de jaune : esquisse d’un plan de Rome (27), plan d’Antioche (98v), plan de Jérusalem (99) et plan de Saint-Jean d’Acre (113v).
  • Support : Parch.
  • Composition :
    • 116 ff. à deux colonnes. Composition des cahiers. 12 cahiers : cahier 1 de 6 ff. (), cahiers 2-12 de 10 ff. ().
  • Dimensions :
    • 525 x 405 mm
  • Aspects codicologiques :
    • Plusieurs systèmes de signatures différents, dont le plus ancien est vraisemblablement contemporain de la copie du texte principal, en chiffres romains de .I. à .IX. corrigé en .X. au verso du dernier f. de chaque cahier pour les cahiers 2-12 (16v, 26v, 36v, 46v, 50v et 76v à l’encre noire, 86v, 96v et 106v à l’encre rouge), un autre système en lettres minuscules de a à m en partie rogné au recto du premier feuillet de chaque cahier, légèrement postérieur et englobant le premier cahier (7, 17, 27, 37, 47, 57, 67, 77, 87, 97). Un dernier système en lettres majuscules A à M à l’encre noire correspond à la reliure aux armes de Colbert. Une seule réclame non rognée au f. 46v. Ff. 1, 7v et 116v blancs.
    • Italie (Naples) . .116 ff. à deux colonnes. Composition des cahiers. 12 cahiers : cahier 1 de 6 ff. (1-6), cahiers 2-12 de 10 ff. (7-116).525 x 405 mm
  • Reliure :
    • Reliure de maroquin rouge aux armes et chiffre de Jean-Baptiste Colbert ; titre doré au dos CHRONICON AD ANNUM MCCCXX.

Présentation du contenu

Source des données : BnF Archives et manuscrits

  • F. 1-7. Tableaux généalogiques récapitulatifs : « ... Linea regularis… Doctores vel scriptores… — … Reges Apulie vel Sicile… Reges Britonum… », avec indication en catalan ajoutée dans la marge sup. du f. 1v : « La taula de les .VI. planes quis seguexen es de tots Regnes qui son exis del humanal linatge del començament del mon ança segons ques trobe en scriptures, e quanta la biblia esta tota en veritat, e les altres apparen assats clares » (cf. Vernet, art. cit., p. 6) (1v-4) ; — Index thématiques classés par ordre alphabétique : « Tabula generalis… Dii paganorum… — … De viris nobilibus a predictis… », avec indication en catalan ajoutée dans la marge sup. du f. 4v, dont les deux dernières lignes sont grattées : « En aquesta taula general de tot lo libre, aquesta letra C significa colona, e la colona es partida en .VIII. letres, es a saber a b c d e f gg h, si es en a es en la primera part, si en b., en la segona, e axi de les […] », ce système n’étant appliqué qu’aux feuillets 5v et 6 (4v-7). — Texte, sans prologue : « Explicatio de mundi origine usque ad diluvium. In principio creavit Deus celum enpyreum et in eo angelicam naturam… — … illa multitudo evanuit simile secundum C. CCCCXVII. a. » (8-116).
    Cette chronique universelle commence à Adam et se poursuit jusqu’à l’époque de l’auteur. Vu la composition - la première version s’arrête en 1323, celle-ci va jusqu’en 1328-, le texte lui-même (8-116) peut être daté de 1328: deux dates constituent un terminus post quem: la première, 1328 est lisible au f. 116 dans la vie de Jean XXII; la seconde peut être déduite de la citation au f. 4 de Francesco Dandolo, doge du 4 janvier 1329 à 1339. Le fait que Dandolo, doge à partir de 1329, ne soit signalé que dans le cahier très légèrement postérieur du début nous fait avancer l’hypothèse que ce manuscrit, très complexe mais assez homogène du point de vue de l’écriture et comportant de nombreuses corrections et additions contemporaines et des renvois dans le texte à d’autres passages utilisant la numérotation des colonnes par des chiffres romains et des lettres-clés, a peut-être été composé sous l’œil de l’auteur. Plusieurs systèmes ont été employés au Moyen Age pour l’établissement de tables ou d’index. Ces usages fréquents dans les manuscrits universitaires se sont généralisés dans la seconde moitié du XIIIe siècle. Ils peuvent s’appuyer sur des lettres clés comme c’est le cas ici, mais ces index sont plutôt construits pour une œuvre ; l’originalité du système utilisé pour le ms. latin 4939 est de n’être destiné qu’à ce manuscrit, qui ne pouvait donc être recopié tel quel avec les renvois aux colonnes (cf. Rouse et Rouse, art. cit.). Le résumé généalogique et les index alphabétiques du début utilisant eux aussi un système de renvois aux numéros attribués aux colonnes pourraient avoir été ajoutés très peu de temps après sur décision de ce dernier. Pourquoi les feuillets 7-7v ont-ils à l’origine été laissés blancs : cet espace était-il prévu pour une illustration, un prologue qui n’a jamais été rédigé, une lettre de dédicace ?


    Description des cartes
    F. 9 : "Mapa mundi". Titre en rouge en haut de la page. — Mappemonde circulaire d’environ 32 cm de diamètre (315 x 327 mm). Elle occupe les trois-quarts supérieurs du folio.
    Espace représenté : le monde connu au XIVe s., divisé en trois continents : Europe, Asie, Afrique, centré sur la Méditerranée, et encerclé par l’océan. — Orientation : est en haut. Aucune indication des points cardinaux.— Un tracé préparatoire de la mappemonde, plus haut sur la feuille de parchemin a été finalement abandonné. On en voit encore le cercle tracé au compas et quelques lignes de construction orthogonales.— Le dessin de la carte est soigné. Les terres sont laissées en blanc. Le contour des côtes est en noir. Les mers sont bleues avec des ondulations au pinceau. Les fleuves, en bleu, forment un réseau complexe. Les montagnes sont figurées par des chaînes brunes striées de brun plus sombre. Les noms principaux des régions et des provinces (aucun nom de ville), sont inscrits à l’encre rouge en lettres minuscules. D’autres noms et des légendes à l’encre brune, parfois soulignés en rouge (Europe du Nord). La légende la plus longue concerne la « mer de Sara » ou mer Caspienne. Une autre main a annoté la carte à l’encre brune, à deux endroits. Les inscriptions ont été en partie grattées. On lit encore, sous le toponyme Syna, en rouge : « sive regnum cathay » (Le mot Syna peut se lire aussi Sycia. On lit à côté « montes sychie ». La limite entre la Scythie (c’est-à-dire la Russie) et la Chine (Syna ou Cathay) nécessitait peut-être cette précision « sive regnum Cathay »). Une seule vignette à l’encre rouge, située sur une montagne séparant la mer Noire de la mer Caspienne, à l'emplacement des Portes de Fer sur des mappemondes similaires (Vat. Lat. 1960, légende : « porte ferree »). — Pas de représentation de ville, de personnage, animal ou être fabuleux.
    Cette mappemonde et le texte qui l’accompagne, existent également avec quelques variante dans un manuscrit de Pietro Vesconte (Vatican, Pal. Lat. 1362A), et de nombreux exemplaires du Liber Secretorum Fidelium Crucis de Marino Sanudo. — La mappemonde du ms. latin 4939 est particulièrement soignée en comparaison, mais contient dans l’ensemble moins de détails que les autres. Bien qu’elle soit incluse dans une chronique, et non un projet stratégique, elle reflète comme dans l’œuvre de Sanudo un vif intérêt pour la configuration de l’Asie. Néanmoins, Jérusalem n’est pas représentée. C’est d’autant plus étonnant que les autres cartes : Syrie-Egypte, Terre Sainte, Acre, Jérusalem, Antioche, ont tous un rapport avec l’histoire biblique et l’histoire des croisades. Il est possible que cette partie de la carte soit inachevée, car on ne voit que les deux lettres « Sy » pour « Syrie ».
    La mer Méditerranée, la côte Atlantique, la mer Noire et la mer d’Azov sont dessinées avec une relative exactitude, sur le modèle des cartes marines réalisées par ailleurs par Pietro Vesconte. En revanche, les îles Britanniques et l’Irlande, la Scandinavie, la mer Baltique ont été plus négligées et apparaissent de manière confuse. On note cependant un réel progrès dans la représentation de la mer Baltique, presque inexistante dans la mappemonde de Pietro Vesconte de 1320 (voir la reproduction des deux mappemondes dans Degenhart et Schmitt, op. cit., p. 106-107). Les reliefs européens sont fortement soulignés (Pyrénées, arc Alpin).
    Une longue glose a été ajoutée en marge concernant la Germanie : « In Germania superiore versus Ungariam est Austria vel Osterich ; sequitur Bavaria, postea Turingia, post Saxonia (…) Hec Germania sicut a septentrione occeano, ita a meridie montibus clausa est ; sunt in utraque Germania gentes 24. ». Le texte du f. 9v renvoie d’ailleurs à cette glose marginale : « In Germania multe sunt gentes in mapa mundi aliqu. describentur. ». Cette glose a été intégralement recopiée par Boccace dans le Zibaldone (Florence, Bibl. Nazionale Centrale, Banco Rari 50, f. 165r; cf. Gentile, Firenze…, p. 68). — Le continent asiatique est séparé de l’océan « oceanus sarmarticus », par une chaîne de montagnes continue, doublée d’une autre chaîne parallèle plus au sud : « montes rifei sarmatico autem (sicut) occeano ».
    Particularité de cette carte par rapport aux autres exemplaires : le cartographe semble avoir hésité sur l’emplacement de la mer Caspienne, comme s’il n’avait su décider entre la tradition antique et les renseignements fournis notamment par Guillaume de Rubrouck. Guillaume de Rubrouck avait commencé son voyage en 1253 (cf. la traduction française de C. et R. Kappler, Guillaume de Rubrouck envoyé de saint Louis. Voyage dans l’empire mongol (1253-1255) et ses informations sont reprises par Roger Bacon dans l’Opus Majus (cf. Almagià, op. cit., p. 4, n. 2 et p. 6. Guillaume de Rubrouck situe la mer Caspienne, ou mer de Sara, au nord et à l’ouest, et affirme qu’elle est fermée, contrairement à ce que disent les auteurs classiques qui pensaient qu’elle était ouverte sur l’Océan. Notre mappemonde représente ainsi deux mers, fermées : une première, presque aussi grande que la mer Noire et de forme voisine, est bien la « mer de Sara » de Guillaume de Rubrouck. La deuxième plus à l’est, plus petite, est logée dans les « montes caspii ». Ces montagnes, pour les auteurs antiques, sont situées à l’Extrême-Orient ; elles auraient été visitées par Alexandre le Grand qui y aurait enfermé les peuples de Gog et Magog derrière des portes de fer. Nulle allusion ici à cette légende, si ce n’est que le nom de la mer Caspienne vient de ces fameux monts Caspiens. La deuxième mer est donc appelée sur la carte "Caspium Mare". Le manuscrit du Vatican (Vat. Lat. 1960) montre également une mappemonde comportant deux mers Caspienne, mais de dessin différent. Cette différence serait la preuve du travail de deux copistes distincts pour les deux manuscrits de Paulin de Venise, selon Bagrow, History of cartography, p. 70.
    Une longue légende explicative est portée à côté de la mer de Sara : « Istud dicitur mare de Sara propter civitatem in qua imperator moratur, et dicitur etiam Caspium propter vicinitates ad montes Caspios et Georgiane eadem causa. In eo erat vorago ubi descendebat aque maris. Sed propter terremotum opturata fuit. Ideo mare tumescit per palmam omni anno. Et iam plures bone civitates destructe sunt, tandem videtur quod debeat intrare mare Tane non absque multorum periculo. Habet in circuitu [mmd] milliaria et de Sara usque Nogacium ponitur milliaria. Sed circum mare est regio arenosa et immersa in magna parte. ». — Le reste de l’Asie, au sud, est divisé, selon la tradition isidorienne, en « Indes » : India superior, India Magna, et plus à l’ouest India parva quae (est) Etiopia. Tout en haut « finis Indie ». L’assimilation de l’Ethiopie à l’une des Indes est courante dans la géographie médiévale, mais là encore, le cartographe a hésité : une « ethyopia inferior » se trouve située à l’est de l’Afrique, de l’autre côté du golfe persique et de la mer Rouge, où sont représentées des îles. L’Afrique est étirée vers l’est, et ses divisions sont celles des auteurs antiques (Numidia, Getulia, Pentapolis, Syrtes). Un grand fleuve la traverse d’est en ouest. Le Nil prend sa source au sud de l’Egypte, dans des montagnes dont la disposition rappelle fortement les montes lunae présents dans la Géographie d’Idrisi, et dans les manuscrits de la Géographie de Ptolémée. Il y a là une filiation possible entre Pietro Vesconte, s’il est l’auteur de cette mappemonde, et Ptolémée, via le géographe arabe. Elle a déjà été affirmée par Konrad Miller, Mappae Arabicae, Stuttgart, 1926, p. 51 (cf. aussi T. Lewicki, « Marino Sanudos Mappa Mundi (1321) und die runde Weltkarte von Idrisi (1154) », dans Rocznik Orientalistczny, 38, 1976, p. 169-195). Mais contrairement aux cartes de Ptolémée, la mappemonde de Vesconte laisse envisager le contournement maritime de l’Afrique, à une date où les navigateurs occidentaux n’avaient pas encore franchi la limite périlleuse du cap Bojador. Au XVe s., les cartes inspirées de Ptolémée, représentent au contraire un continent africain relié à une terre australe, faisant de l’Océan Indien une grande mer fermée.
    Le texte en bas de page et au verso du f. 9, est une description du monde et de ses divisions, complémentaire de la carte et sur certains points moins précis qu’elle. Il s’agit d’une version abrégée d’un traité, le De Mapa Mundi, qui se trouve dans l’exemplaire de la Satyrica Historia de Paulin de Venise, conservé à la Bibliothèque du Vatican (Vat. Lat. 1960, f. 13). Le texte débute ici par un prologue sur l’utilisation conjointe du texte et de la carte : « universi orbis hic descriptio ponitur tam in scriptura quam in pictura. Non unum sine alio suficit, quare confinia provinciarum per scripturam ad oculos videri absque figura non possunt, et figura sine scriptura confuse omnia repraesentat ». La même idée est exposée dans le prologue du « De mapa mundi », Vat. Lat. 1960 : « Requiritur autem mapa duplex, picturae ac scripturae, nec unum sine altero putes sufficere, quia pictura sine scriptura vero non erit sufficienter… ». « Sine a mundi descriptione ea, que dicuntur de filiis ac filiis filiorum Noe de IIIIor monarchiis et reliquis regnis seu provinciis tam in divinis quam humanis scripturis dificile (sic) est posse ad plenum intelligere vel ymagynari », Ibidem, mais placé avant la phrase précédente : « Incipit prologus in mapa (sic) mundi cum trifaria orbis divisione. Sine mapa mundi ea, que dicuntur de filiis ac filiis filiorum Noe et que de IIIIor monarchiis ceterisque regnis atque provinciis tam in divinis quam in humanis scripturis, non tam difficile quam impossibile dixerim ymaginari aut mente posse concipere. ». — De fait, sur la page qui lui fait face, se trouve une « Explicatio de Noe archa atque diluvius », en dessous d’une belle représentation de l’arche de Noé (8v). Cette association n’a rien d’étonnant dans une chronique universelle. La partition des terres entre les fils de Noé (Sem, Cham et Japhet) a souvent servi de support à un commentaire géographique, parfois illustré d’un schéma cartographique, dit en « en T-O », c’est-à-dire sur une mappemonde représentant le cercle de l’oecumène divisé en trois parts inégales par la Méditerranée, le Nil et le Tanaïs (ou Don). On en trouve de nombreux exemples dans les manuscrits d’Orose ou d’Isidore de Séville : l’Asie occupe la moitié supérieure du cercle, l’Europe et l’Afrique se partagent l’autre moitié, tandis qu’à l’intersection des trois se trouve Jérusalem, au centre du monde (cf. Harley et Woodward, op. cit., p.286-370; M. Destombes, Mappemondes A.D. 1200-1500, Amsterdam, 1964).
    Cette mappemonde est cependant plus complexe, et les continents ont des tailles comparables ; elle offre une remarquable synthèse des connaissances géographiques du temps, associant le savoir universitaire et les données des cartes marines. La description en dessous continue par une énumération des régions du monde en commençant par le Paradis terrestre. Celui-ci, cependant, n’est pas représenté sur la carte, non plus que Gog et Magog et les « races monstrueuses », inspirées de Solin. Le Paradis terrestre, Gog et Magog, les races monstrueuses, sont présentes par exemple dans la monumentale carte d’Ebstorf, inspirée de l’œuvre de Gervais de Tilbury, ou encore dans la mappemonde de Hereford, dont le modèle a des liens avec la Descriptio mappe mundi de Hugues de Saint- Victor.
    Les sources de cette mappemonde, textuelles et cartographiques, sont en partie exposées par Paulin de Venise lui-même, au f. 13 de l'exemplaire du Vatican du De Mapa Mundi cum trifaria orbis divisione, ms. Vat. Lat. 1960. Ce texte a été cité par Almagià, op. cit., p. 4, mais sa transcription, et certaines de ses interprétations, ont été fortement corrigées par von den Brincken, Kartographische Quellen…, p. 29 (cf. Degenhart et Schmitt, op. cit., p. 61). Bien que ce traité ait été largement emprunté au Memoriale Historiarum de Jean de Saint-Victor, Paulin de Venise ne le cite pas dans cette liste : « Pictura autem hic posita ex mapis variis est composita sumptis de exemplaribus, que scripturis actorum concordant illustrium, quos imitamur, videlicet : Ysi(dori) in libro eth(imologiarum), J(er)o(nimi) de distantia locorum et hebraicarum questionum [Almagià, op. cit., lit le nom abrégé « Johannis de distantia locorum » et l’identifie avec Johannes Wirzburgensis ], Hug(onis) de Sancto Vic(tore) et Hug(onis) Floriacensis in sua ecclesiastica ystoria, Orosii de ormesta mundi, Solini de mirabilibus mundi, Gervasii de mirabilibus terrarum, Pomponii Melae de situ orbis, Ho(no)rii de ymagine mundi, Eusebii, Bede, Iustini, Balderici Dolensis episcopi in itineriario transmarino et aliorum plurimum scribentium maxime de situ Terrae Sanctae et circumstantium regnorum Syrie et Egypti, que ad multos passus intelligendos Scripture Sacre necessaria sunt »: Victor (cf. Gautier Dalché, La descriptio mappe mundi de Hugues de Saint- Victor, Paris, 1988) ; Hugues de Fleury, Chronique ; Paul Orose, Historia adversum paganos ; Solin, Collectanea rerum memorabilium ; Gervaise de Tilbury, De mirabilibus mundi (XIIIe s.) ; Pomponius Mela, De chrorographia (Ier s. ap. JC) ; Honorius Augustodunensis, Imago Mundi (XIIe s.) ; Eusèbe de Césarée, Chronique (IVe s.) ; Bède le Vénérable (VIIIe s.) ; Junianus Marcus Justinus Epitoma historiarum Philippicarum Pompei Trogi ; Baudry de Dol, Historia Hierosolimitana .Sont mentionnées ici les autorités traditionnelles de la géographie médiévale : Solin, Orose, Isidore de Séville, Bède le Vénérable pour l’Antiquité et le haut Moyen Age, mais aussi Pomponius Mela, d’un accès difficile au début du XIVe siècle ( cf. Bouloux, op. cit., n. 17 p. 48 et p. 159-167 sur Pomponius Mela): c’est notamment cette allusion à Pomponius Mela qui permet d’affirmer que Paulin de Venise a utilisé l’œuvre de Jean de Saint-Victor, qu’il a pu lire probablement en Avignon, dans les années 1319-1324. Plus récents sont Gervais de Tilbury, Hugues de Saint-Victor, Honorius Augustodunensis. De plus ces sources ont été combinées avec les données récentes des cartes marines et sans doute aussi des récits de voyage comme celui de Guillaume de Rubrouck. Paulin de Venise utilise également d’autres textes pour les passages de son œuvre concernant l’Asie : Burchard de Mont-Sion, Descriptio Terrae Sanctae (entre 1271 et 1291) ; Jacques de Vitry (1170-1240), Historia Hierosolomitana ; Guillaume de Tyr (mort en 1186), Historia rerum in partibus transmarinis gestarum ; Hayton, Fleur des histoires d’Orient.


    F. 10 : « Mapa regnorum Syrie et Egypti » [Carte de la Terre Sainte et delta du Nil]. Titre en rouge en haut de la page. — La carte occupe la moitié supérieure de la page, sans cadre. — Dimensions : env. 260 x 350 mm. — Orientation vers l’est, mais les points cardinaux ne sont pas indiqués. — Aucune graduation ni aucune ligne de construction.
    Espace représenté : le rivage sud-est de la Méditerranée, comportant le delta du Nil depuis Alexandrie, la Palestine et une partie de la Syrie, jusqu’à soldin au nord ; la péninsule arabique entre mer Rouge et golfe Persique, la Mésopotamie entre le Tigre et l’Euphrate, des montagnes d’Asie mineure au nord. La carte apparaît comme un agrandissement des régions figurées sur la mappemonde qui la précède, sans souci d’échelle. — Annotations d’une autre main dans la marge.

    Mers et fleuves en bleu-vert (striés d’ondulations au pinceau), montagnes en brun strié de brun plus sombre, terres laissées en blanc du parchemin. — Toponymes à l’encre brune, en lettres minuscules. Les noms de villes et de ports du Levant sont inscrits perpendiculairement à la côte, entre celle-ci et un trait vert qui se prolonge jusqu’au Nil, tel un itinéraire où chaque étape est marquée par un symbole de ville très simplifié. La distance de l’une à l’autre étape est indiquée par un chiffre romain rouge. Le texte en haut du f. 11 renvoie à cet itinéraire dessiné sur la carte : « describitur autem via de terra promissionis usque ad Kayrum terrestri itinere per desertum in mapa egypti ». — Les autres noms de la carte et les légendes sont en lettres minuscules brunes également. Certains sites et certains monuments sont indiqués par une vignette stéréotypée (tours crénelées, remparts ou portes).
    Comme pour la mappemonde, une carte similaire a été dessinée par Pietro Vesconte pour le projet de croisades de Marino Sanudo. Cette carte paraît cependant plus soignée et plus complexe que les autres exemplaires, et les légendes sont un peu différentes que dans la carte du manuscrit du Vatican (cf. Almagià, op. cit., p. 9). Les toponymes alignés sont empruntés aux cartes marines, mais d’autres noms à l’intérieur des terres, notamment près de la branche orientale du Nil, doivent provenir d’autres sources. Une vignette aux dimensions énormes représente l’antique Ninive à la source du Tigre : le cartographe a dessiné un échafaudage de monuments : des églises, des remparts, des tours. Au-dessus, entre chacune des trois sources du Tigre, est indiqué le nom antique du pays : Asyria. Une longue légende tout en haut explique les dimensions de la ville : « Ninive in asyria sita est super Tygri magno itinere dierum III. longe III nec minus habebat in latitudine. Tigris autem ex una parte fluit. Alibi dicitur quod flumen circumfluit eam et super fluvium sunt alta palacia et aule (…). Ex opposita parte fluviis sunt muri altissimi, cum C portis eneis IIIIa autem sunt principalissiem ex parte orientis et IIIIa ex parte occidentis. In ea jardini amoenissimi habundantes dicuntur et habitancium magna frequentia ».
    Plus au nord, dans la montagne, est figurée la ville de rages, avec une légende rajoutée par une autre main : « [Rages edissa (…)a Seleuchos Seleucia edifica(..) eam. Nemroth.] ». Sur une grand île de l’Euphrate est représenté Bagdad par une vignette assez grande : Babilonia et ebactenis aliquando, avec les légendes suivantes autour : Caldea (Chaldée), genaar, fl. Cobar (une branche du fleuve).
    La péninsule arabe est très petite. On y voit une seule vignette de taille moyenne pour la Mecque : mecha (in quo) sepultus est Maumeth. Une chaîne de montagnes de direction nord-sud se termine juste en dessous avec la légende : mons synay. Ailleurs sont indiquées les divisions de la Syrie, du nord au sud : Mesopotamia Syrie, Celes Syria, alia Syria quae continet magnam Esdrelon que Galilea, Syria damasci que est Arabia IIIa, alia Syria sub monte Gelboe, alia Syria que est Arabia Iia, alia Syria que est Arabia prima, et plus bas : Ydumea. Des vignettes plus petites indiquent au nord quelques villes : Antiocia, Hamas, Damasco (cette dernière entre les bras de fleuves Farfar et Albana). Les autres villes sont indiquées par un symbole simplifié, parmi lesquelles Alapia (Alep), Cheisaria (Césarée). Près du mont Liban : Libanus, on voit un autre symbole : sepulcrum filii chanaam.
    Le Jourdain figure avec ses trois lacs traditionnels, un sans nom à sa source, puis le lac de Tibériade (ou mer de Galilée : mare Galilee) et la mer Morte : mare mortuum.
    En Egypte, les vignettes se font plus nombreuses et plus grosses. Près du Nil : Babilonia, castrum de gyse, lagyse, castrum monte, Kayrum. Vers l’ouest est représenté un grand pont : « hunc pontem fecit Bendocdar ad transeundum quoniam flumen inundat ad fecundandam terram". Ce pont serait le Pont des Lions, que fit construire en 1267 le sultan mamelouk Baibars (cf. Almagià, op. cit., p. 9, n. 1). Plus à l’ouest, on voit deux tours : « Granaia que fecit Joseph in fine solitudinis », « istas duo turres fecit pharao in capite solitudinis » et une autre légende « [ honor. Egypt. C. villa (…) est inclita.] ». Au nord des deux tours, sont représentées deux abbayes : « abbacie in deserto versus occidens », et un cours d’eau « coleccio aquarum sub abbaciis ». On voit encore quelques vignettes près de la côte, notamment Alexandria.
    A la fin du f. 9v, Paulin de Venise renvoie au texte explicatif et à la carte et il justifie son intérêt pour cette région par son rapport avec l’histoire biblique : « De Syrie et Egypte regnis seu provinciis expedit latius tam in pictura quam in scriptura procedere. De hiis enim duobus regnis tamen qua inter ea Jerusalem atque Judea posita est et ab eis sepe gravata scriptura loquitur. In generali autem mapa mundi propter spacii parvitatem depingi minime poterant que necessaria sunt ad intelligendum vel ut ita dicam ad oculum ostendum contenta in divina pagina vel etiam que de passagiis in diversis libris scriptura leguntur. ».
    Un texte en petits caractères serrés, sous la carte, et au-dessus du texte principal, constitue la description complémentaire de l’image. Le texte est présenté en deux colonnes inégales : à gauche : « explicatio de tota maritima Syrie ». À droite : « Explicacio maritime Egypti ». Le nom des étapes, soulignées en rouge et les distances entre elles sont soigneusement indiqués. Il s’agit d’un passage de portulan, tel que Marino Sanudo l’utilise lui-même dans le Liber Secretorum Fidelium Crucis(II, IV, 25) (cf. Bouloux, op. cit., p. 133 et p. 161).
    L’histoire biblique et l’histoire des croisades justifient donc l’appel à la géographie dans cette chronique universelle : le plus étonnant est alors sans doute le fait que Jérusalem soit si peu mise en valeur. On distingue à peine une vignette simplifiée, avec le nom abrégé de la ville « Jerm », à l’ouest du Jourdain.


    F. 10v-11 : « Mapa terre sancte » [Carte de la Terre Sainte]. Titre à l’encre rouge, en haut. — La carte occupe en largeur presque la totalité d’une double page (250 x 650 mm environ). — Le texte l’encadre sur quatre colonnes, en haut et en bas. — En haut se trouve la fin de la description de l’Egypte, en bas la description de la géographie humaine et physique de la Terre Sainte.
    Espace représenté : la Palestine, depuis les sources du Jourdain, le Liban et le mont Hermon au nord jusqu’à la mer Morte au sud (un espace de 300 à 350 km de long en réalité) ; d’est en ouest, du désert de Jordanie à la mer Méditerranée. Orientation approximativement vers l’est.
    La carte ne comporte aucune graduation ni échelle de longueurs. Mais les distances relatives sont données par un quadrillage de traits rouges et noirs verticaux et horizontaux. Les carreaux principaux (1,6 cm de côté) sont en rouge. Ces carrés sont divisés par des lignes brunes formant quatre carrés plus petits (0,8 cm de côté) : vingt-huit en hauteur et soixante-dix-neuf en largeur. Le côté des petits carrés est censé représenter une distance d’une lieue de deux milles, comme l’explique Marino Sanudo (Liber Secretorum, III, XIV, 3; cf. infra). Une partie des carrés a sans doute été rognée par la reliure, puisque Marino en prévoyait quatre-vint trois. — Les mers, les lacs et les cours d’eau sont en bleu avec des ondulations. Les reliefs sont en brun rehaussé de gris pour suggérer des ombres. — Le tout est peint avec une peinture épaisse qui recouvre le quadrillage. Les vignettes urbaines relativement variées et fines ont été reportées soigneusement en suivant le quadrillage ; elles sont dessinées à la plume et rehaussées de lavis jaune clair. — Le nom des tribus d’Israël a été porté en écriture cursive, assez large, en rouge. Toponymes et légendes sont en lettres minuscules plus petites, à l’encre brune. Les frontières entre les territoires des « tribus » sont représentées par des lignes sinueuses dorées. La Terre Promise est ici représentée à grande échelle. Comme l’indique le titre du texte qui l’accompagne, elle figure à la fois les principales forteresses médiévales et les lieux mentionnés dans la Bible : Explicatio de quibusdam opidis et notabilibus locis terre promissionis ; ainsi que la géographie physique : De montibus ; De fluminibus et aquis. — Les douze tribus d’Israël, indiquées en rouge, sont réparties dans cet espace. En revanche les régions : Judée, Galilée, Samarie, ne sont pas nommées, sauf dans une légende, au nord, qui signale les limites de la Galilée et de la Décapole : « tota terra a monte Libano per tot(um) latus occidentale Jordanis usque Cafarnaum et inde per Sapheth et Kabul et Toronum redeunto ad Libanum vocatur Yturea et Galilea superior et Galilea gentium et terra Kabul et terra Roob et terra Libani. Et fuit pro magna parte de regione Decapoleos. »
    Curieusement, Jérusalem n’est pas plus mise en valeur que dans les cartes précédentes. La ville sainte, dont le nom est abrégé en Jerlm, est figurée par une simple vignette rectangulaire surmontée de créneaux, au milieu d’une région riche en monuments de l’histoire sainte : Bethléem, la maison de Zacharie près de Béthanie, le tombeau de Rachel et celui des frères Macchabées plus à l’ouest, le village d’Emaüs, etc. Par endroit, des légendes rappellent des particularités historiques et géographiques : « in engadi sunt vinee balsami. Et cleopatra (tempore) herodis favente (M.) Antonio eas transtulit in Egyptum. » ; « Vallum salinarum et lacus asfaltidis super mare sodomorum vel maledictum et mortuum ». On lit aussi beaucoup de légendes au nord de la Palestine. A l’emplacement de Nazareth, la vignette représente une petite Annonciation, avec l’Ange, la Vierge, séparés par une fleur de lys, sous un toit. Sur la côte, sont alignées les principales villes et forteresses qui apparaissent pour certaines aussi sur les cartes marines : du nord au sud, Sydon, Sarepta, Tyrus, Scandalum, Casale Lanperti ?, Achon, Chayfa, Castrum peregrinorum, Cesarea, Arsur vel Antipatrida, Jopen, Ramathay ou Ramula (un peu à l’intérieur des terres), Castrum Beroardi, Ascalona, Gaça…Comme la mappemonde, cette carte de Terre sainte a été utilisée conjointement par Pietro Vesconte, Marino Sanudo et Paulin de Venise. Elle a ensuite connu une remarquable fortune, et a été reproduite de nombreuses fois, dans des manuscrits de la Géographie de Ptolémée, puis dans des éditions imprimées. Il ne semble pas que Vesconte soit à l’origine de cette carte. Elle paraît bien plutôt dériver de prototypes de la fin du XIIIe siècle; Almagià désigne comme source possible la grande carte de l’Archivio di Stato de Florence (Carte nautiche 4), dont le dessin est très proche, mais qui mesure 52 x 168 cm (cf. C. Simoni, « Una carta della Terra Santa del secolo XIV nell’ Archivio di Stato di Firenze. Marino Sanudo e Pietro Vesconte », dans Archivio Storico Italiano, 1893, p. 241-258). Mais elle est datée de la fin du XIVe siècle ou du début du XVe siècle dans Gentile, Firenze…, n° 12, p. 39. Elle est dans ce cas plutôt une copie tardive, agrandie, de la carte de Marino Sanudo. Elle comporte, comme dans le ms. latin 4939, des vignettes urbaines variées qui l’embellissent mais nuisent à l’exactitude de la localisation.
    Les sources de cette carte sont pour une part celles que Paulin de Venise indique dans le De mapa mundi : saint Jérôme, Eusèbe de Césarée, Bède le Vénérable, ont tous écrit des guides des lieux saints qui ont pu servir de documentation. Plus proche de Paulin de Venise, Burchard de Mont-Sion a rapporté de pèlerinage une description très détaillée de la Terre sainte, accompagnée, dit-il, d’une carte. Almagià avance aussi le nom de Johannes Wirzburgensis, après avoir lu « Johannis de distancia locorum » au lieu de « Jeronimi… », dans l’énumération des sources du De Mapa Mundi (cf. plus haut la description de la mappemonde). Il reconnaît pourtant, p. 12, que les indications données par Jean de Wirzbourg ne correspondent pas à celles de la carte. Ses indications de lieux et de distances, et les divisions compliquées de la Syrie et de l’Arabie, correspondent bien aux données des cartes du manuscrit de Paulin de Venise. Il existe de fait un croquis cartographique de la Terre Sainte dans un manuscrit de Burchard de Mont-Sion à la Bibliothèque Laurentienne de Florence ; mais il est très éloigné de notre carte. Les données de cette carte ont été transcrites par Röhricht, op. cit. Le quadrillage fait une partie de son originalité et a soulevé déjà nombre de commentaires (cf. Harvey, The History…, op. cit., p. 146). L’hypothèse d’une influence chinoise sur cette carte me paraît tout à fait extravagante. Plus intéressant est le rapprochement avec le jeu d’échecs- malheureusement non argumenté. Le ms. latin 4939 contient en effet un peu après cette carte un traité des échecs. Paulin de Venise y renvoie parfois dans sa description géographique (Vat. Lat. 1960, f. 13v, cité par Bouloux, Culture…, p. 59, n. 52). La « Carte Pisane » contenait elle aussi par endroit un quadrillage en rapport avec l’échelle en milles. Le rôle de ce quadrillage n’a jamais été expliqué par les historiens. On doit exclure une quelconque référence aux parallèles et méridiens, qui n’apparaissent dans les cartes terrestres qu’à partir du XVe siècle, dans les manuscrits de la Géographie de Ptolémée. Le réseau a un usage avant tout pratique : permettre une reproduction exacte et facile de la carte, à toutes les échelles voulues (comme le prouve la carte de l’Archivio di Stato). Mais il permet aussi une description plus aisée. Marino Sanudo l’explique lui-même clairement dans la description, qui est l’exacte réplique textuelle de la carte (livre III, part XIV, chap. 3) :« Imaginemur itaque Terram Promissionis dividi per lineas in XXVIII spatia, quae protenduntur a monte Libano usque ad desertum quo itur in Aegyptum, et in LXXXIII spatia tractis lineis per super priores transversaliter, ab occidente in oriens, ita quod resultent ad quantitatem unius leucae, sive duorum milliarium plurima loca quadrata ».
    Ainsi, chaque vignette urbaine trouve sa place exacte dans un carré, et la description procède de haut en bas et de gauche à droite, par exemple : « in primo igitur spatio et supremo, quod est versus Oriens, incipiendo a septentrione et procedendo versus Meridiem, in quadro LIII est Ar, nunc Arcopolis, vel Petra », (…) « in septimo spatio, quadro XI, sepulchrum Job. », et ainsi de suite (éd. de Bongars, p. 246).De même que la mappemonde est de près associée au traité de mapa mundi, l’explication donnée par Marino Sanudo permet de supposer que la carte de Terre Sainte est étroitement associée à son œuvre, ou même qu’il en a supervisé la réalisation. Pour la controverse à ce sujet, cf. Bouloux, Culture…, p.52, n. 28. Almagià , op. cit., p. 19, pense qu’au contraire, Marino Sanudo ne fait que suivre une carte qu’il a sous les yeux et qu’il n’a pris aucune part à sa réalisation, pas plus qu’aux autres.


    F. 27 : [Plan de Rome]. — Il s’agit seulement d’une esquisse, occupant les trois quarts inférieurs du f. 27, dessinée à l’encre brune rehaussée de lavis jaune clair. — Dimensions : env. 440 x 290 mm. —
    L’enceinte de la ville est suggérée par un trait elliptique, où sont disposées des vignettes représentant des tours ou plutôt des portes fortifiées. Un autre tracé, oblique et sinueux, esquisse le lit du Tibre (ce qui permet de trouver l’orientation de la carte : l’est est en haut).Au bord du « fleuve » est représenté le Château Saint-Ange, accompagné d’une légende : Castrum Sancti Angeli. A côté, on distingue peut-être les arches d’un pont, et sans doute une porte (légende : porta pontis). Malgré le minimalisme de ce dessin inachevé, on perçoit assez bien la structure particulière de la forteresse pontificale : trois étages circulaires superposés, et munis de créneaux. — Les deux paragraphes au dessus de l’esquisse de carte mentionnent l’un Romulus, l’autre les Sybilles antiques.Cette ébauche de carte était visiblement construite sur le même modèle que le plan, achevé, de Rome dans la Satyrica Historia de Paulin de Venise de la Bibliothèque du Vatican (Vat. Lat. 1960, f. 270v) (S. Maddalo, « Appunti per una ricerca iconografica : l’imagine di Roma nei manoscritti tardomedioevali », Udine, 1987 (Università degli studi di Udine. Facoltà di lettere e filosofia), fig. 12).-


    98v. Antiocia [Plan de la forteresse d’Antioche]. — Orientation vers l’est. — Dimensions : environ 160 x 160 mm pour l’ensemble de l’illustration. — Les contours de la ville elle-même mesurent environ 90 x 90 mm. — Encre brune rehaussée d’un lavis jaune.
    Nomenclature en minuscules brunes. — Le plan centrifuge, est très schématique. La ville, ou plutôt la forteresse d’Antioche, est vue verticalement, et pour ainsi dire mise à plat sous le regard abstrait d’un observateur céleste. Le cartographe insiste sur la forme carrée de la ville entourée de remparts crénelés. Ceux-ci sont munis de tours qui surmontent onze portes fortifiées, dont deux, à l’ouest, sont reliées à des ponts (porta pontis et porta sancti Georgii). À l’intérieur des remparts, seul est indiqué le puits, vital en cas de siège (fons).— Le site naturel est suggéré par quelques lignes brunes et des légendes indiquant :-l
    - le bord de mer (ripa maris) à l’ouest,
    - le relief (mons oruntes) au sud,
    - un avant-port, au nord-ouest (polçin vel portus sanctus simeonis),
    - des vallées et des lacs : lacus in monte, à l’est, et flumen Ser labit iuxta Cesarea et Antiochia. Le plan d’Antioche illustre un récit de la première croisade, et plus précisément le passage introduit par le titre : « Antiochie descriptio atque obsidio», qui commence par décrire la ville.
    L’image, sans cadre, occupe l’angle inférieur gauche de la page, en bas de la première colonne de texte. Le nom de la ville est inscrit verticalement à l’intérieur du plan lui-même.Un plan d’Antioche similaire se trouve dans le manuscrit de travail de Paulin de Venise, conservé à la Biblioteca Marciana.

    F. 99 : [Plan de Jérusalem]. — L’image occupe un grand quart supérieur droit de la page, au-dessus du texte de la deuxième colonne. Celui-ci rapporte le siège de la ville durant la première Croisade. Le plan ne comporte pas de titre. Le nom de la ville est simplement inscrit en minuscules brunes au centre.— La carte n’est pas encadrée. Les points cardinaux sont donnés tout autour en lettres minuscules noires : Levant en haut, ponent en bas (sous le texte), septentrio à gauche. Aucune échelle n’est indiquée.— Dimensions : env. 300 x 220 mm. — Encre brune, rehaussée de lavis jaune pâle (remparts). Toponymes en lettres minuscules de la même encre, parfois soulignés en rouge. Les points cardinaux sont peut-être d’une autre main.
    Comme le plan d’Antioche, celui de Jérusalem représente la ville d’un point de vue abstrait et vertical, centrifuge. Il est là pour aider le lecteur du récit adjacent à comprendre le déroulement du siège par les Croisés. Les noms propres sont soulignés en rouge dans le texte comme sur le plan. — La cité est située sur un promontoire rocheux entre la vallée de Josaphat (vall. Josafath, souligné de rouge), où coule le torrent du Cédron (torens cedron), et une autre vallée au sud (vallis filiorum enoch). Au-delà de la vallée de Josaphat s’élève le Mont des Oliviers (mons oliveti), qui occupe plus de la moitié du dessin. — Les remparts rectilignes au nord, à l’est et à l’ouest, englobent dans une courbe le mont Sion (mons Syon) au sud, site de l’ancienne ville de David (aujourd’hui à l’extérieur de la vieille ville de Jérusalem). Leur longueur est indiquée à côté par une légende : civitas habuit in circuitu Sz Josefu stadia XXXIII.
    A l’intérieur ont été indiquées les principales artères. La plus grande conduit d’ouest en est à la porta vallis, face au mont des Oliviers. Les autres voies encadrent les deux sites les plus importants : le groupe du Saint-Sépulcre à l’ouest, et l’esplanade du Temple à l’est. Les sanctuaires placés sur le site de la mort et de la résurrection du Christ sont assez détaillés. On voit sur le plan la forme d’une basilique dont l’abside est à l’ouest, avec la légende : S. Sepulcrum. Elle est bordée d’un bâtiment (ou d’un atrium) parallèle à la rue orientée nord-sud. À l’angle sud-est de la basilique, une pièce carrée renferme le lieu du calvaire (calvaria), dont l’emplacement précis est marqué d’un rond. L’ensemble est protégé par une muraille sur le côté sud. À l’opposé du Saint-Sépulcre, sur la colline orientale, est indiquée l’esplanade fortifiée de l’ancien temple de Salomon, devenue, après la conquête musulmane, le Haram esh-Sharif. En son centre se trouve le Dôme du Rocher et au sud la mosquée al-Aqsa. Au temps des Croisades, on appelait le Dôme le « Temple du Seigneur » (sur le plan templum domini) ; l’autre mosquée transformée en palais (ici, sans doute la vignette au sud de l’esplanade) fut donnée par le roi de Jérusalem à l’ordre des Chevaliers du Christ : les Templiers. Au nord de l’esplanade sont figurées des arcades et un bassin : "pisina". Signalons enfin la porta aurea, l’une des entrées fortifiées à l’est de l’esplanade, et la porta sancti stephani, au nord.
    Quelques autres toponymes sont indiqués : au nord-est, un quartier avec une église et une nouvelle pisina. Entre le Saint-Sépulcre et le mont Sion, une vallée porte le toponyme vorago (gouffre). Sur le mont Sion sont figurés la « tour de David » (turris Davidi), en fait un vestige du palais d’Hérode, une église (Sainte Marie ?), et l’édifice abritant le Cénacle (cenaculus), lieu du dernier repas de Jésus avec ses apôtres. — Les environs de la ville sainte sont parsemés de lieux-dits et de sanctuaires, en particulier sur le mont des Oliviers. Le réseau de routes conduisant à la ville est aussi représenté, comme par exemple la via x fratellum.— Une attention particulière a été portée aux sources, aux réservoirs (piscines), aux points d’eau en général – est-ce parce que le ravitaillement en eau était un problème majeur pendant le siège raconté dans le texte voisin du plan ? Du côté de la porte occidentale est représenté un aqueduc, avec une légende expliquant la provenance de l’eau : Sur le plan, une source (fons Gyon inferior) est captée dans la vallée et son eau acheminée vers un bassin au sud-est (pisina inferior) non loin de la fontaine de Siloé (fons Syloe). Près de la « source inférieure » se trouve un autre bassin (pisina superior), d’où l’eau s’écoule vers le nord et ressurgit près des remparts occidentaux de la ville (fons Gyon superior). De là, l’eau est captée par un aqueduc (aquaductus, dont les arches sont bien visibles sur le dessin), et vient alimenter la ville. La légende explique cela : "fons Gyon superior quem [obcavit] Ozias et [utit] aquas [circa] ad occidentem turris Davidi ad pisinam inferiorem quae nunc est ad Sancta Anna". La source du Gyon (Guihon) est connue depuis la plus haute antiquité, et mentionnée dans la Bible. Le roi Ezéchias (fin du VIIIe s. av. JC), fit en effet construire le canal reliant la source du Guihon au bassin de Siloé sur 533 m de long. Ce canal, haut de 1,10 à 3,40 m et large de 0,58 à 0,65 m, est toujours visible aujourd’hui. Mais le plan n’est pas exact : la source de Siloé se trouve beaucoup plus à l’ouest, près des remparts. Quant à l’aqueduc, il entrait dans la ville au sud-ouest, et non pas au niveau de la tour de David.

    F. 113v. "Ptholomayda seu Achon" [Plan de la ville d’Acre]. Titre en rouge à côté de l’image. — Le plan occupe l’angle inférieur gauche de la page. Il ne comporte pas de cadre, ni d’indication de l’orientation ou de l’échelle. — Dimensions : environ 150 x 90 mm. — Tracé à l’encre brune. — Couleur verte diffuse évoquant la mer. — La baie est ouverte vers le sud. L’est est en haut de la carte.
    Le plan donne une vue plane et centrifuge de la ville, orientée vers l’est, et ne respecte pas d’échelle mathématiquement cohérente. On y voit les remparts munis de tours et de portes, le réseau principal des rues (en lavis jaune) délimitant des quartiers, quelques rares monuments symbolisés par une vignette. Le schéma donne une idée du site et de la forme de la ville à la fin du XIIIe s., comme en témoigne l’extension du quartier vénitien. Il comporte quelques notables distorsions par rapport à la topographie reconstituée par les archéologues, et ne permet donc pas d’établir la physionomie de la ville de manière fiable (cf. A. Kesten, Acre, the Old city. Survey and Planning, Jerusalem, 1962. Analyse de D. Jacoby ). — Acre fut conquise en 1104 par les Croisés et devint rapidement le port principal du Levant. Les villes de Gênes, Venise et Pise bénéficiaient de franchises commerciales. Prise par Saladin en 1187, Acre fut de nouveau possession chrétienne de 1191 à 1291. L’unité de la ville souffrit des intérêts conflictuels entre les commerçants des villes italiennes et les ordres militaires : la guerre de Saint-Sabas opposa ainsi en 1256-58 les Génois aux Vénitiens alliés aux Pisans. Il en résulta des changements topographiques notables : le quartier vénitien fut agrandi au détriment des terrains génois, et les limites entre les « nations » concurrentes renforcées par des remparts et des tours. — Sur le plan, le port est fermé par une digue très courte à l’est, terminée par une tour. En réalité, le port comportait deux digues, une à l’est, en effet, et une au sud. À partir de cette dernière, une chaîne et une tour (la Tour des Mouches) limitaient l’entrée du port occidental (ou port de la chaîne) réservé aux marchands. Il est approximativement situé par la petite baie proche du quartier Pisan, au sud-ouest. Juste à côté de cette baie, est représentée la seule porte fortifiée donnant sur la mer, la porta ferrea. — Outre le quartier des pisani, on aperçoit au sud-ouest les quartiers réservés aux commerçants vénitiens (veneti) et génois (Januenses). Selon les recherches de D. Jacoby, ces quartiers étaient privés d’un accès direct au port par le « quartier de la chaîne », espace d’entrepôts et de douane où les marchandises étaient contrôlées. Entre les Génois et les Pisans se trouvait le quartier fortifié de l’ordre militaire du Temple (signalé par une vignette), et plus au nord, celui des Hospitaliers.
    Les fortifications entourant la ville évoquent les remparts que Louis IX fit renforcer lors de son séjour à Acre (1250-54). Leur double rangée au nord et à l’est, isolait le faubourg de Montmusard (D. Jacoby, « Montmusard, suburb of Crusader Acre : the first stage of its development », Studies on the Crusader States…, chap. V, Northampton, Variorum Reprints, 1989).
    Il existe dix copies de ce plan : six se trouvent dans le Liber Secretorum… de Marino Sanudo, une, signée par P. Vesconte, est conservée au Vatican, et les trois dernières illustrent la Chronique de Paulin de Venise. Elles représentent le même plan urbain mais comportent entre elles de notables différences. Le plan de Paulin de Venise au Vatican est le plus précis de tous. Selon D. Jacoby, son auteur a pu bénéficier d’autres sources que celui de Pietro Vesconte. La copie du ms. lat. 4939 est en revanche plus sobre en détails : ni la chaîne barrant le port, ni les vignettes symbolisant les principaux édifices des quartiers marchands ne sont représentés.

Texte du manuscrit

Source des données : Mandragore

Enluminures et décors

Intervenants

Anciens possesseurs

Anciennement dans

Historique de la conservation

Source des données : BnF Archives et manuscrits


  • Paulin de Venise (vers 1270-1344) débute sa carrière dans l’ordre des Franciscains où il est d’abord custode puis inquisiteur. Critiqué dans sa manière d’exercer cette fonction, il cherche alors d’autres revenus et exerce en divers endroits ses talents de diplomate et d’historiographe. Il tente d’abord de se faire connaître en écrivant un manuel de gouvernement, le Tractatus de regimine rectoris, dédié à Marino Badoer, duc de Crète (1312-1315). En 1315-1316, il obtient une mission d’ambassadeur de la République de Venise auprès de Robert de Naples. A partir de 1319, nous le retrouvons à la cour pontificale d’Avignon où il détient la fonction de pénitentiaire ; c’est alors que Jean XXII le désigne en 1321 pour faire partie de la commission qui examine le projet de croisade du vénitien Marino Sanudo, le Liber Secretorum Fidelium Crucis. Les deux hommes, qui se connaissaient peut-être déjà avant cette rencontre, restèrent en contact par la suite. En 1322, Paulin de Venise retourne à Venise en tant que nonce apostolique et en 1324 il est nommé archevêque de Pouzzoles. Il ne prend possession de son diocèse qu’en 1326, et achève sa carrière et sa vie auprès de Robert de Naples dont il est conseiller. Il fait partie de l’entourage cultivé du souverain, et c’est là qu’il rencontre le jeune Boccace, qui semble n’avoir eu qu’une piètre estime pour lui.
    L’œuvre de Paulin de Venise, essentiellement historique, se compose de trois volumineuses chroniques universelles, sans cesse remaniées : l’Epitoma, la Chronologia (ou Compendium) et la Satyrica historia. Ce sont de vastes compilations de textes médiévaux, assortis de traités divers, de tableaux récapitulatifs, de miniatures et, parfois, de cartes de géographie. Chacun des manuscrits est en soi une œuvre particulière, dont la composition et l’iconographie ont été choisies par l’auteur. Le ms. latin 4939 contient ainsi une des versions de la Chronologia magna, écrite vraisemblablement vers 1328-1329. Le texte historique est accompagné de tables récapitulatives en début de codex, et de descriptions géographiques qui viennent soutenir le récit et favoriser la compréhension du lecteur. Le tout est assorti de cartes qui ont une importance tout à fait particulière dans l’histoire de la cartographie, car elles associent les données d’une géographie traditionnelle, universitaire, fondée sur les descriptions d’Isidore de Séville ou de Gervais de Tilbury, et des données plus récentes issues de la cartographie marine. La plupart de ces cartes : la mappemonde, la carte quadrillée de Terre Sainte, la carte d’Egypte et de Syrie, et quelques plans de ville : Jérusalem, Antioche, Acre, sont également utilisées par Marino Sanudo dans le projet de croisade de 1321. Dans le manuscrit de la Bibliothèque du Vatican (Vat. Lat. 1960), qui contient la Satyrica Historia, et un traité de géographie, le De mapa mundi, sont ajoutés des cartes de l’Italie et des plans de villes qui proviennent de sources différentes. Depuis les travaux de K. Kretschmer, il est admis que les cartes qui accompagnent le projet de Marino Sanudo, présenté en 1321 au pape, ont été réalisées par le cartographe génois bien connu par ailleurs, Pietro Vesconte. Les cartes du recueil signé par ce dernier dans un manuscrit du Vatican (Pal. Lat. 1362A) sont en effet exactement les mêmes que celles du manuscrit avignonnais de Marino Sanudo (Vat. Lat. 2972). Les cartes du ms. latin 4939, à l’exception du plan de Rome à peine esquissé, sont également très proches de celles de Pietro Vesconte, mais sont certainement des copies réalisées par un artiste moins bien informé. Néanmoins, R. Almagià (op. cit., p. 3-12, p. 4, p. 15, p. 18) a émis des réserves sur l’attribution de certaines de ces cartes : la mappemonde illustre en effet assez exactement le traité de Paulin de Venise, le De mapa mundi, intégré à sa chronique du manuscrit Vat. Lat. 1960. Ce traité est par ailleurs une adaptation d’un texte de Jean de Saint-Victor, le Memoriale Historiarum (cf. Bouloux, Culture et savoirs…, p. 48-49 et n. 17). Pour Almagià, Paulin de Venise serait l’auteur de la mappemonde, ou bien il en aurait du moins supervisé la réalisation, à partir de mappemondes antérieures. Pietro Vesconte se serait alors contenté de la remanier, en ajoutant par exemple des lignes des directions des vents. L’intérêt de Paulin de Venise pour la géographie ne date pas de la rédaction du ms. latin 4939 : en effet, on trouve dans un manuscrit de Venise (Marciana Z. 399 (1610)) une version ancienne de son œuvre, assortie de cartes de l’Italie et de plans de villes. L’antériorité du De mapa mundi de Paulin de Venise sur le Liber Secretorum de Sanudo n’est cependant pas prouvée. Plus récemment, les chercheurs ont avancé l’hypothèse, très vraisemblable, que les deux hommes ont travaillé en commun à partir des mêmes sources, et peut-être avant même leur rencontre officielle à Avignon en 1321. Les bonnes relations entre les deux hommes, qui ont pu se connaître aisément à Venise, sont attestées en effet par leurs contacts épistolaires, et la forte proximité de leurs œuvres. Ils ont donc pu tous deux faire appel aux services du cartographe Pietro Vesconte, et tous deux lui soumettre des modèles antérieurs pour la mappemonde ou la carte de Terre sainte, chacun dans l’optique différente de son propre projet, historique pour Paulin de Venise, stratégique pour Marino Sanudo (cf. Bouloux, op. cit., p. 67-68).
    Copié à Naples sous le règne de Robert d’Anjou, frère de saint Louis, né vers 1275, duc de Calabre, roi de Naples et de Sicile et comte de Provence en 1309, mort en 1343 (cf. Anselme, I, 407), le volume ne semble pas être passé dans la famille des Angevins de Naples, mais dans celle de ses concurrents directs, les rois d’Aragon (de la première dynastie). On ne sait comment le manuscrit est passé de la maison d’Anjou à celle d’Aragon. Notons toutefois que Robert d’Anjou a épousé successivement deux princesses aragonaises : Yolande d’Aragon puis Sancia de Majorque. Cette dernière protégea les Franciscains à la cour de Naples (cf. M. Hébert, « Le règne de Robert d’Anjou », dans N.-Y. Tonnerre et E. Verry, Les Princes angevins du XIIIe s. au XVe s. Un destin européen. Actes des journées d’études des 15 et 16 juin 2001. Rennes, 2003, p. 99-116).
    En effet, ce manuscrit difficile à identifier dans les anciens inventaires en raison de sa présentation inhabituelle et des feuillets ajoutés en tête correspond au n° 1 de la liste de trente-cinq manuscrits provenant du collège de Foix à Toulouse que Puget fait parvenir à Colbert le 16 février 1683, sous la description suivante : « Chronologia universalis a mundo condito usque ad annum MCCCXX, en très-grand volume, parchemin » (cf. BnF, ms. latin 9464, f. 87-88, liste éditée par Delisle, Le Cabinet des manuscrits, I, p. 506-507, n° 1). A partir de cette mention, nous avons pu le retrouver dans l’inventaire après décès du cardinal Pierre de Foix, terminé le 8 janvier 1466 par le notaire Jacques Gerardi, sous cette description : « Item magnum volumen quod dicitur Orologium [sic], in quo sunt arma Aragonum, incipit « In principio » et finit « adolescentem » (cf. Jullien de Pommerol et Monfrin, op. cit., I, p. 50-55 et II, p. 746, n° 10).Le titre est erroné pour une raison difficile à comprendre, peut-être une lecture fautive de la première rubrique, mais cette hypothèse ne peut être vérifiée, car l’original de cet inventaire est perdu: son contenu n’est connu que par deux copies tardives, réalisées l’une au XVIIIe siècle par un érudit local, l’autre au XIXe siècle par un sous-bibliothécaire du Musée Calvet d’Avignon (cf. Jullien de Pommerol et Monfrin, op. cit., I, p. 52); cependant l’incipit et l’explicit du premier feuillet du texte (8) concordent parfaitement avec les informations livrées par l’inventaire. Pierre de Foix avait légué ses manuscrits au collège de Foix, qu’il avait fondé en 1457, et une partie d’entre eux nous sont parvenus par ce biais. L’indication par l'inventaire de 1466 des armes d’Aragon permet d’identifier plus facilement encore le manuscrit dans l’inventaire des livres saisis à Peñiscola par le même cardinal Pierre de Foix en 1429 : « Item unus liber pulcher et in magna forma De genologia regum et principum mundi cum quatuor clausoris argenti cum armis regis Aragonum, et incipit in primo corondello primi follei « Quomodo non est », et finet « caprinos » (cf. Jullien de Pommerol et Monfrin, op. cit., I, p. 49-50 et II, p. 732, n° 412 ; n° 425 dans la vieille édition de P. Marti, « La biblioteca papal de Peniscola », dans Estudios franciscanos, XXVIII et XXIX). Le titre est là conforme à la réalité, mais l’identification exacte du manuscrit demande de l’attention car la colonne dont l’incipit et l’explicit sont signalés est en fait la première colonne du f. 16 et non du premier feuillet. D’après Monfrin et Pommerol, cet inventaire n'a pas été copié mais il a été pris sous la dictée par un scribe catalan ou aragonais étourdi.
    L’explication de cette description se trouve dans l’un des inventaires après décès du pape Benoît XIII, qui en 1409 avait quitté Avignon pour Peñiscola, emportant avec lui une bonne partie de la librairie réunie par les papes Avignonnais. C’est là qu’en 1423 le manuscrit est décrit le plus précisément par le notaire Antoine de Camps, « Item unus pulcher liber in pergameno De genologia regum et principum mundi in magna forma cum tabulis copertis de corio rubeo, cum IIIIor clausoriis argenti cum smaltis regis Aragonie, et intus est cum copertis nigris et armis regis predicti et smaltis cum leopardis et timbres et coronis, et incipit in primo colondello primii folii quando non est aliqua pictura, post XV « penitencia vera », et finit « caprinas » (cf. Jullien de Pommerol et Monfrin, op. cit., I, p. 45-49 et 608, n° 1322). La première colonne du f. 16 se termine bien comme on l’a déjà vu par le mot « caprinos », alors que l’incipit, qu’il faut lire « [Proser]pinam non .q. », est de nouveau interprété par le rédacteur de l’inventaire de 1423 de façon fantaisiste, mais différente de celle de 1429. Le volume fait alors partie des « Libri sequentes sunt in pergameno in uno calaxio secunde domus dextri lateris prope fenestramintrando ipsam librariam ». Enfin le volume figure dans l’inventaire de la grande bibliothèque du château de Peniscola rédigé vers 1411-1415 (peut-être en 1413-1415 ?). Il y est décrit de façon plus succincte mais pour ce qui concerne le contenu plus exacte : « Item universalis collectio istoriarum in magno volumine cum armis regis Aragonum » (cf. Faucon, op. cit., II, p. 146, n° 1027 ; Jullien de Pommerol et Monfrin, op. cit., I, p. 42-45 et 91-92).
    Récapitulons les informations. Ce texte de grand format apparaît anonyme dans tous ces inventaires médiévaux à partir de 1411-1415. Il a posé des problèmes de description qui ont été réglés de façon variée selon les cas, mais surtout il apparaît couvert d’une reliure aux armes du roi d’Aragon. En 1423, on apprend que cette reliure de cuir rouge est munie de quatre fermoirs d’argent émaillé aux armes d’un roi d’Aragon, et à l’intérieur de cette reliure se trouve semble-t-il une autre couvrure ( ?) noire aux armes du roi, avec des émaux ornés de léopards, d’emblèmes et de couronnes. Il s’agit de la seule reliure décrite avec tant de précisions dans les différents inventaires cités. Les armes dites du roi d’Aragon signalées par les différents inventaires dans lesquels ce manuscrit apparaît à partir de 1411 pourraient être celles d’Alphonse IV, roi d’Aragon de 1327 à 1336, ou de l’un de ses successeurs sur le trône d’Aragon, jusqu’à Jean Ier d'Aragon (1387-1395) ou plutôt Martin d'Aragon (1395-1410), qui avait épousé Maria de Luna, proche parente de Benoît XIII.
    On ne sait pas comment ce manuscrit est passé entre les mains du pape Benoît XIII : il ne figure ni dans les inventaires de la librairie pontificale d’Avignon antérieurs à Benoît XIII, ni parmi les livres décrits dans l’inventaire après décès de Martin d’Aragon en 1410. Est-il aventureux de penser que ce volume, qui n’est pas non plus parmi les manuscrits que possédait le cardinal d’Aragon avant son accession au trône pontifical sous le nom de Benoît XIII, aurait pu être offert à celui-ci par Martin d’Aragon à l’occasion de la visite que le roi, ami et allié précieux du pape, lui fit à Avignon en mars 1397, visite au cours de laquelle fut rédigé le fameux article additionnel qui aurait dû régler la question du Grand Schisme (cf. N. Valois, La France et le Grand Schisme d’Occident, III, Paris, 1901, p. 113-116) ?
    Dès sa copie, ce manuscrit a été lu attentivement et annoté par plusieurs lecteurs, dont Boccace, qui appréciait peu l’œuvre de l’évêque de Pouzzoles. Il l’a sans doute consulté à Naples, soit peu après sa rédaction, au cours des longues années qu’il y passa avec son père entre 1327 et 1340 — Boccacino di Chelino y avait été envoyé comme représentant des banquiers florentins Bardi auprès du roi de Naples—, soit pendant un des séjours que le Florentin y fit ultérieurement. C’est certainement à l’occasion de l’un de ces voyages qu’il ajouta au f. 116 un note acerbe sur la présentation par Paulinus Venetus du pape Jean XXII, et qu’il copia les longs extraits qu’il utilisera dans un recueil de textes historiques, Zibaldone Megliabechiano, publié en 1344, après la mort de l’évêque de Pouzzoles. Ce manuscrit est entré en 1732 dans la Bibliothèque du roi avec la collection de manuscrits de Jean-Baptiste Colbert.


    Colbertinus

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